Father John Misty : 2017, Année de la Pure Comédie?
Publié : 16 août 2017, 23:53
Pour moi, les artistes les plus pertinents sont ceux qui ont des antennes, ceux qui, bien avant le commun des mortels, détectent ce qui est à venir ou voient des pans entiers de la nature humaine que la grande majorité des gens ne peut ou ne veut pas voir. Ils se servent ensuite de leur art pour nous faire part des visions qu'ils ont eues. William Shakespeare est de ceux-là. Quatre siècles après sa mort, nous n'avons pas encore réussi à faire le tour de tout ce qu'il avait à nous dire à propos du coeur de l'homme. Plus près de nous, les textes de Bob Dylan ou les musiques d'Ornette Coleman, par exemple, font également preuve d'une clairvoyance qui force l'admiration.
Father John Misty, fait, pour moi, partie de ces artistes à antennes. Je l'ai connu avec son deuxième album sous ce pseudonyme, "I Love You Honeybear". Je découvrais alors un chansonnier à la plume acide qui portait un regard fortement teinté d'humour noir sur les relations amoureuses. En cela, il me fait beaucoup penser à un de ses modèles, le grand Leonard Cohen. À la différence près que le barde montréalais n'éprouvait pas le besoin de se cacher derrière un personnage de scène provocateur et arrogant.
Pour continuer avec ce bon vieux Leonard, voici une reprise de "Bird on a Wire" par Misty. Elle nous montre que celui-ci est un interprète extrêmement doué, autre chose qui m'avait fortement impressionné à l'écoute de "I Love You Honeybear". Beaucoup de senti et une belle voix très bien maîtrisée. Un vrai bon chanteur, quoi!
Puis, le 22 juillet 2016, lendemain de la convention républicaine qui a couronné Donald Trump, Misty, qui devait se produire dans le cadre du WXPN's XPoNential Music Festival, décide de ne pas chanter ses chansons mais plutôt de discourir assez longuement à propos des effets néfastes que la culture du divertissement a sur les gens. Il demande au public de se taire quand il veut l'applaudir, lui déclare "Maybe just take a moment to be really fucking profoundly sad", improvise un morceau d'une dizaine de minutes et, pour conclure, entonne "Bird on a Wire". Il explique ce comportement le lendemain, disant qu'il réagissait simplement au couronnement du "next potential idiot king".
Josh Tillman (le vrai nom de Misty) est donc un type particulièrement sensible. L'arrivée en scène du Roi Orange en a effrayé plusieurs (j'en suis), mais elle semble l'avoir affecté pas à peu près. Le cynique a plongé la tête première dans la déprime et maintenant, tout ce qu'il décrit est du noir le plus noir, à commencer par le texte qui accompagne la pochette de "Pure Comedy". L'être humain a inventé le divertissement qui va causer sa perte. La solution? Les ours polaires qui, à cause du réchauffement climatique, vont descendre au sud et dévorer tout le monde pour se venger. Optimiste, le Misty!
Les textes de "Pure Comedy" sont tous de cette eau. L'humour y est grinçant et l'espoir absent. Ce couplet de "Leaving L.A." résume très bien la chose. Il raconte le souvenir (sûrement fictif) du petit Josh Tillman qui était en train de s'étouffer avec un bonbon au son de "Little Lies" de Fleetwood Mac:
"My first memory of music's from
The time at JCPenney's with my mom
The watermelon candy I was choking on
Barbara screaming, "Someone help my son!"
I relive it most times the radio's on
That "tell me lies, sweet little white lies" song
That's when I first saw the comedy won't stop for
Even little boys dying in department stores."
Nous sommes tous en train de mourir avec, en arrière-fond, la belle musique du divertissement. Ça se prend trop au sérieux, tout ça? Peut-être un peu, mais heureusement, Misty sait rire de lui-même au passage. Toujours sur "Leaving L.A.", il se décrit d'ailleurs comme "another white guy in 2017 who takes himself so goddamn seriously." C'est, pour moi, ce qui, entre autres, rend "Pure Comedy" plus digeste que le dernier Fleet Foxes (groupe dont Tillman a, incidemment, été le batteur pendant quelques années) ou, bien pire, le dernier Arcade Fire (qui se voient carrément comme les nouveaux messies du rock).
Et du point de vue musical, où est-ce qu'il loge, ce disque? On l'a dit à plusieurs reprises, "Pure Comedy" évoque beaucoup la pop bien faite des années soixante-dix, particulièrement celle d'Elton John (qui se dit d'ailleurs très fan de FJM). Un peu paradoxal pour quelqu'un que je considère comme le chantre du monde moderne par excellence? Ceux qui cherchent l'innovation à tout prix devront probablement chercher ailleurs. Ils passeront tout de même à côté d'un sacré bon disque superbement arrangé qui dévoile de nouvelles subtilités à chaque écoute. Les orchestrations du compositeur Gavin Bryars sur quelques pièces, les bruits de percussions électroniques sur "Two Widely Different Perspectives" et les mystérieux effets de voix qu'on entend sur "The Memo" collent d'ailleurs très bien à la modernité du propos.
Et, une fois de plus, on peut rapprocher Tillman de son maître. En effet, la façon dont il chante les ravages de la culture du divertissement sur la très pop "Total Entertainment Forever" me rappelle Leonard Cohen qui, sur la chanson "The Future", nous parlait de l'apocalypse sur des rythmes funky dansants. Le lien entre les propos de Misty et ses musiques peut très bien être ironique lui aussi. Une parfaite adéquation.
Grâce à ses antennes, Father John Misty a réussi, avec "Pure Comedy", à faire un portrait de l'époque dans laquelle nous vivons comme peu en sont capables. Il y a beaucoup, beaucoup, de noir dans le paysage qu'il nous dépeint mais, malheureusement, les faits semblent lui donner raison. Alors que le pays le plus puissant de la planète s'est choisi une star de télé-réalité pour le diriger avec les conséquences que l'on ne connaît que trop, on peut effectivement se demander si la culture du divertissement n'est pas en train de nous tuer à petit feu.
Father John Misty, fait, pour moi, partie de ces artistes à antennes. Je l'ai connu avec son deuxième album sous ce pseudonyme, "I Love You Honeybear". Je découvrais alors un chansonnier à la plume acide qui portait un regard fortement teinté d'humour noir sur les relations amoureuses. En cela, il me fait beaucoup penser à un de ses modèles, le grand Leonard Cohen. À la différence près que le barde montréalais n'éprouvait pas le besoin de se cacher derrière un personnage de scène provocateur et arrogant.
Pour continuer avec ce bon vieux Leonard, voici une reprise de "Bird on a Wire" par Misty. Elle nous montre que celui-ci est un interprète extrêmement doué, autre chose qui m'avait fortement impressionné à l'écoute de "I Love You Honeybear". Beaucoup de senti et une belle voix très bien maîtrisée. Un vrai bon chanteur, quoi!
Puis, le 22 juillet 2016, lendemain de la convention républicaine qui a couronné Donald Trump, Misty, qui devait se produire dans le cadre du WXPN's XPoNential Music Festival, décide de ne pas chanter ses chansons mais plutôt de discourir assez longuement à propos des effets néfastes que la culture du divertissement a sur les gens. Il demande au public de se taire quand il veut l'applaudir, lui déclare "Maybe just take a moment to be really fucking profoundly sad", improvise un morceau d'une dizaine de minutes et, pour conclure, entonne "Bird on a Wire". Il explique ce comportement le lendemain, disant qu'il réagissait simplement au couronnement du "next potential idiot king".
Josh Tillman (le vrai nom de Misty) est donc un type particulièrement sensible. L'arrivée en scène du Roi Orange en a effrayé plusieurs (j'en suis), mais elle semble l'avoir affecté pas à peu près. Le cynique a plongé la tête première dans la déprime et maintenant, tout ce qu'il décrit est du noir le plus noir, à commencer par le texte qui accompagne la pochette de "Pure Comedy". L'être humain a inventé le divertissement qui va causer sa perte. La solution? Les ours polaires qui, à cause du réchauffement climatique, vont descendre au sud et dévorer tout le monde pour se venger. Optimiste, le Misty!
Les textes de "Pure Comedy" sont tous de cette eau. L'humour y est grinçant et l'espoir absent. Ce couplet de "Leaving L.A." résume très bien la chose. Il raconte le souvenir (sûrement fictif) du petit Josh Tillman qui était en train de s'étouffer avec un bonbon au son de "Little Lies" de Fleetwood Mac:
"My first memory of music's from
The time at JCPenney's with my mom
The watermelon candy I was choking on
Barbara screaming, "Someone help my son!"
I relive it most times the radio's on
That "tell me lies, sweet little white lies" song
That's when I first saw the comedy won't stop for
Even little boys dying in department stores."
Nous sommes tous en train de mourir avec, en arrière-fond, la belle musique du divertissement. Ça se prend trop au sérieux, tout ça? Peut-être un peu, mais heureusement, Misty sait rire de lui-même au passage. Toujours sur "Leaving L.A.", il se décrit d'ailleurs comme "another white guy in 2017 who takes himself so goddamn seriously." C'est, pour moi, ce qui, entre autres, rend "Pure Comedy" plus digeste que le dernier Fleet Foxes (groupe dont Tillman a, incidemment, été le batteur pendant quelques années) ou, bien pire, le dernier Arcade Fire (qui se voient carrément comme les nouveaux messies du rock).
Et du point de vue musical, où est-ce qu'il loge, ce disque? On l'a dit à plusieurs reprises, "Pure Comedy" évoque beaucoup la pop bien faite des années soixante-dix, particulièrement celle d'Elton John (qui se dit d'ailleurs très fan de FJM). Un peu paradoxal pour quelqu'un que je considère comme le chantre du monde moderne par excellence? Ceux qui cherchent l'innovation à tout prix devront probablement chercher ailleurs. Ils passeront tout de même à côté d'un sacré bon disque superbement arrangé qui dévoile de nouvelles subtilités à chaque écoute. Les orchestrations du compositeur Gavin Bryars sur quelques pièces, les bruits de percussions électroniques sur "Two Widely Different Perspectives" et les mystérieux effets de voix qu'on entend sur "The Memo" collent d'ailleurs très bien à la modernité du propos.
Et, une fois de plus, on peut rapprocher Tillman de son maître. En effet, la façon dont il chante les ravages de la culture du divertissement sur la très pop "Total Entertainment Forever" me rappelle Leonard Cohen qui, sur la chanson "The Future", nous parlait de l'apocalypse sur des rythmes funky dansants. Le lien entre les propos de Misty et ses musiques peut très bien être ironique lui aussi. Une parfaite adéquation.
Grâce à ses antennes, Father John Misty a réussi, avec "Pure Comedy", à faire un portrait de l'époque dans laquelle nous vivons comme peu en sont capables. Il y a beaucoup, beaucoup, de noir dans le paysage qu'il nous dépeint mais, malheureusement, les faits semblent lui donner raison. Alors que le pays le plus puissant de la planète s'est choisi une star de télé-réalité pour le diriger avec les conséquences que l'on ne connaît que trop, on peut effectivement se demander si la culture du divertissement n'est pas en train de nous tuer à petit feu.