2018: Le Jazz plus Pertinent que le Rock.
Publié : 16 déc. 2018, 21:29
"Jazz Is not Dead, It Just Smells Funny." On connaît tous la célèbre phrase qu'a prononcé Frank Zappa à propos du déclin du jazz en 1973. Curieusement, en 2018, alors que je jette un regard vers l'année musicale qui se termine, je réalise que cette mort annoncée du jazz était un phénomène réversible, que le genre est en train de reprendre de la vigueur et qu'il sent de moins en moins drôle contrairement au rock qui, de son côté, se fait de plus en plus poussiéreux. Analyse.
Depuis quelques années, le jazz a refait son apparition dans les publications et les sites web où il est habituellement question de musique d'allégeance pop/rock. On a, par exemple, fait grand cas de Kamasi Washington, saxophoniste tout d'abord repéré aux côtés de Kendrick Lamar, qui a su allié avec bonheur le jazz modal tel que préconisé par Coltrane et Davis il y a des lustres à une esthétique hip hop plus contemporaine. Son album "Heaven and Earth" figure bien haut sur de nombreux palmarès en cette fin d'année.
D'autres jazzmen américains ont également marqué les douze moi qui viennent de s'écouler. Je pense, entre autres, au fabuleux batteur Makaya McCraven qui fait habilement danser son jazz made in Chicago (très inspiré de l'AACM) sur des rythmiques qu'il a, lui aussi, été puiser du côté du hip hop sur le magistral album double "Universal Beings". "Origami Harvest" du trompettiste californien Ambrose Akinmusire a également impressionné quelques esprits dont le mien. Un rappeur (oui, encore le hip hop, on ne peut y échapper) s'y exécute sur des musiques hybrides mettant en scène des musiciens jazz et un quatuor à cordes. Ensemble, ils nous livrent un message percutant sur la situation des Noirs aux États-Unis de nos jours.
De l'autre côté de la grande flaque, la jeune scène jazz londonienne est tout particulièrement bouillonnante. Cette année, les mélomanes britanniques les plus branchés ont pu, entre autres, se mettre sous la dent le groove irrésistible du très bon "The Return" de Kamaal Williams et le plus spirituel "There is a Place" de la formation Maisha dans laquelle on retrouve une étoile montante du saxophone appellée Nubya Garcia. Cependant, la figure la plus emblématique du renouveau jazz anglais est sans contredit Shabaka Hutchings, leader des groupes Shabaka & the Ancestors (encore une fois plutôt spirituel), The Comet Is Coming (son projet les plus électro) et les impitoyables Sons of Kemet dont le brûlant "Your Queen Is a Reptile" associe free jazz, dub, musiques antillaises et attitude punk. Cet album a manqué de peu le Mercury Prize, ce qui en a choqué plusieurs dont votre humble serviteur.
Tous ces artistes ont en commun le fait qu'ils revigorent la note bleue en lui attirant un nouveau public plus jeune et plus branché. En fait, le niveau de coolitude du jazz n'a pas été aussi élevé depuis des décennies. Son degré de pertinence également. La nouvelle génération de jazzmen fait une musique qui, autant par les textes qui l'accompagnent parfois que par sa forme hybride, réussi à mieux rendre compte de la société à la fois complexe et injuste dans laquelle elle a été produite que le rock. Douce revanche car c'est justement ce genre musical qui avait relégué le jazz aux oubliettes à la fin des années cinquante.
J'entends déjà des voix répliquer que le phénomène dont je parle demeure souterrain, que les jeunes artistes que je mentionne sont loin d'avoir acquis la faveur populaire dont jouissent toujours certains groupes rock. Attention: pertinence ne rime pas nécessairement avec popularité. Je sais bien que Shabaka Hutchings n'attire pas les foules comme Coldplay, les Foo Fighters ou Metallica au Festival d'Été de Québec. Mais soyons honnête: est-ce que les formations que je viens de nommer sont toujours en phase avec leur époque? Parlons plutôt d'événements rassembleurs où on se berce dans la nostalgie. Et leurs successeurs? Où sont-ils?
En 2018, le jazz est bel et bien vivant, mais on peut commencer à se dire que même s'il n'est pas mort, c'est maintenant le rock qui commence à sentir drôle.
Depuis quelques années, le jazz a refait son apparition dans les publications et les sites web où il est habituellement question de musique d'allégeance pop/rock. On a, par exemple, fait grand cas de Kamasi Washington, saxophoniste tout d'abord repéré aux côtés de Kendrick Lamar, qui a su allié avec bonheur le jazz modal tel que préconisé par Coltrane et Davis il y a des lustres à une esthétique hip hop plus contemporaine. Son album "Heaven and Earth" figure bien haut sur de nombreux palmarès en cette fin d'année.
D'autres jazzmen américains ont également marqué les douze moi qui viennent de s'écouler. Je pense, entre autres, au fabuleux batteur Makaya McCraven qui fait habilement danser son jazz made in Chicago (très inspiré de l'AACM) sur des rythmiques qu'il a, lui aussi, été puiser du côté du hip hop sur le magistral album double "Universal Beings". "Origami Harvest" du trompettiste californien Ambrose Akinmusire a également impressionné quelques esprits dont le mien. Un rappeur (oui, encore le hip hop, on ne peut y échapper) s'y exécute sur des musiques hybrides mettant en scène des musiciens jazz et un quatuor à cordes. Ensemble, ils nous livrent un message percutant sur la situation des Noirs aux États-Unis de nos jours.
De l'autre côté de la grande flaque, la jeune scène jazz londonienne est tout particulièrement bouillonnante. Cette année, les mélomanes britanniques les plus branchés ont pu, entre autres, se mettre sous la dent le groove irrésistible du très bon "The Return" de Kamaal Williams et le plus spirituel "There is a Place" de la formation Maisha dans laquelle on retrouve une étoile montante du saxophone appellée Nubya Garcia. Cependant, la figure la plus emblématique du renouveau jazz anglais est sans contredit Shabaka Hutchings, leader des groupes Shabaka & the Ancestors (encore une fois plutôt spirituel), The Comet Is Coming (son projet les plus électro) et les impitoyables Sons of Kemet dont le brûlant "Your Queen Is a Reptile" associe free jazz, dub, musiques antillaises et attitude punk. Cet album a manqué de peu le Mercury Prize, ce qui en a choqué plusieurs dont votre humble serviteur.
Tous ces artistes ont en commun le fait qu'ils revigorent la note bleue en lui attirant un nouveau public plus jeune et plus branché. En fait, le niveau de coolitude du jazz n'a pas été aussi élevé depuis des décennies. Son degré de pertinence également. La nouvelle génération de jazzmen fait une musique qui, autant par les textes qui l'accompagnent parfois que par sa forme hybride, réussi à mieux rendre compte de la société à la fois complexe et injuste dans laquelle elle a été produite que le rock. Douce revanche car c'est justement ce genre musical qui avait relégué le jazz aux oubliettes à la fin des années cinquante.
J'entends déjà des voix répliquer que le phénomène dont je parle demeure souterrain, que les jeunes artistes que je mentionne sont loin d'avoir acquis la faveur populaire dont jouissent toujours certains groupes rock. Attention: pertinence ne rime pas nécessairement avec popularité. Je sais bien que Shabaka Hutchings n'attire pas les foules comme Coldplay, les Foo Fighters ou Metallica au Festival d'Été de Québec. Mais soyons honnête: est-ce que les formations que je viens de nommer sont toujours en phase avec leur époque? Parlons plutôt d'événements rassembleurs où on se berce dans la nostalgie. Et leurs successeurs? Où sont-ils?
En 2018, le jazz est bel et bien vivant, mais on peut commencer à se dire que même s'il n'est pas mort, c'est maintenant le rock qui commence à sentir drôle.